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WORST n°2 (novembre/décembre 1990)

interview : J. Dupuy, F. Leleu / photos : J. Dupuy

 

Une répétition n'est pas l'endroit privilégié pour appréhender le monde imaginaire d'une musique pseudo-conceptuelle inclassable qui s'inscrit dans une démarche artistique pure, instrumentalisée à l'extrême...

Clair Obscur est un groupe Creillois né en 1981-82 d'un duo familial, Christophe et Nicolas Demarthe (respectivement chant et guitare). Depuis 1988, après deux 33t surprenants "Play" sur le label britannique Cathexis mais surtout "In Out" sur Visa et un 45t "Blume", ils persévèrent forgeant plus que jamais leur travail de création insolite. Mais aussi, leur nom dont la valeur identificatrice s'affirme aujourd'hui plus encore avec leur dernier album : "ROCK".

On plante le décor de ce 23 septembre 1990. D'un côté bien rangés, des musiciens éclairés par des ampoules pendues au plafond : Aline Montfort (flûte traversière), Hélène Audinat, violoncelliste et plusieurs autres musiciens classiques. De l'autre côté de la scène, des amplis, la basse de Jamel "De Beauvais", des fils emmêlés et la batterie de Nicolas Gorge en imposent d'une façon désordonnée avec l'appui des guitares de Nicolas et Laurent Miguene.

Ne dites pas Rock classique, classico Rock, ni Rock de l'extrême ou Opéra-Rock. Dites simplement : CLAIR OBSCUR ! Donnez vous la peine d'entrer dans ce monde où sont réunis classiques et rockers, où le langage devient onomatopées, phonétique universelle réunissant français, allemand et anglais dans un melting pot d'anticonformisme musical et scénique.

Déjouez avec eux les codes usuels du spectacle où l'ambiance se crée dans la prise de conscience d'un espace collectif sensoriel ; une nouvelle dimension où la sensibilité visuelle est modifiée par rapport au flot incessant d'images que nous subissons chaque jour, atténuant notre sens critique.

NICOLAS: une partie des musiciens que tu as vue travaillent avec nous depuis trois ou autre ans, à la fois pour la musique d'Antigone et sur l'album "IN OUT". Il y a par exemple Hélène, la violoncelliste. On se connaît depuis quatre ans, ça fait un an et demi qu'on travaille ensemble... On change sans cesse de musiciens classiques, non pas que ça nous plaise mais ce sont des gens très pris et qui ne sont pas toujours disponibles. Ils trouvent des remplaçants, ils ont un carnet d'adresses énorme ! Ce n'est pas très agréable de travailler comme ça mais nous sommes contraints de le faire. De plus on a fait des choix de sonorités. Nous avions des saxophonistes mais on s'est aperçu que le cor d'harmonie sonnait mieux. Alors sur le disque on a mis des cors et nous allons faire le spectacle avec eux. Aujourd'hui il n'y en que quatre mais en concert il y en a huit : trois cordes, deux flûtes, un clarinettiste et deux cors d'harmonie. Les autres sont des chant et musique assistée par ordinateur parce que nous avons toujours besoin de pistes, d'effets.

Quel est votre logiciel ?

N.: Cubase. C'est la nouvelle génération du pro 24 sur Atari. Tout ça permet de composer chez soi. Ce qui est fabuleux, c'est de passer d'une chambre de 10 ml à une scène où chaque son qui est mis sur les canaux se retrouve joué par des instruments. C'est complètement différent.

Ce n'est pas difficile à coordonner ?

N.: On commence à avoir des petites combines: nous sortons les partitions sur imprimante et chaque musicien apporte une façon de jouer. C'est ça qui est fabuleux, la machine est quelque chose de froid, une partie de clarinette sera très rigide alors que le musicien va apporter des vélocités selon son feeling. Le son d'un orchestre en salle ne se remplace pas.

Ca représente beaucoup de monde pour le prochain spectacle ?

N.: Une quinzaine à Creil et en novembre à Paris. Sur le disque il y a une trentaine de participants.

Il doit sortir quand ?

N.: Il devrait sortir vers novembre mais si nous avons besoin de plus de temps, il sortira en janvier.

Comment va être le spectacle ?

CHRISTOPHE: Dans les grandes lignes, nous allons reprendre celui du Café de la Danse. Au départ, le propos était de montrer qu'il y a oeuvre dans une oeuvre en préparation autant que dans une oeuvre achevée. Et ça prend une direction qui est une réflexion sur l'image et sur la publicité visuelle, exclusive, qui exclue celui qui la regarde d'une réflexion, d'un réel échange, parce qu'elle est tellement parfaite qu'il n'y a pas de place pour la personne qui le regarde. Nous essayons de creuser plus loin ce rapport, voir jusqu'où ça peut renverser les visions qu'on peut avoir sur le sujet. Sans décrire le spectacle - parce qu'on peut aimer ça - au début et à la fin on projettera sensiblement la même image et avec le passage vers la pub, cette image prendra un sens complémentaire.

Vous avez des moyens financiers qui sont différents d'avant ?

N.: Non, pas pour ce spectacle, c'est encore du bricolage. Mais il est quand même différent parce qu'on a réussi à proposer le spectacle pour la première fois à un centre culturel. Ca n'a donc rien à voir avec le circuit rock et nous avons eu un budget.

Passer d'un 24 à un 56 pistes, cela coûte cher pour un album.

C.: Avec beaucoup de musiciens, chacun jouant de plusieurs instruments, on dépassait le studio traditionnel. Nous avons pu le faire grâce à un concours de circonstances. Lorsque nous avons rencontré Edouard Sicsic, il a craqué sur notre musique et il a produit le disque.

Vous êtes sur le label Visa dont la réputation n'est plus à faire dans le domaine rock indépendant, comment cela s'est-il passé avec eux ?

C.: C'était nouveau. Avec Visa, on a cherché plusieurs possibilités, mais de ce côté on a rien eu, donc la rencontre avec un privé était peut-être bizarre mais c'était la chose la plus vraie. La plus vraie dans le sens où les institutions ont un discours très tentant, vouloir aider les créateurs sans rien leur donner, alors qu'un privé, c'est un businessman qui peut s'offrir le luxe de mettre son argent dans des coups de coeur. Souvent les majors profitent de ce genre de chose pour soigner leur image de marque. L'idée que rejette d'avance Visa est celle de travailler avec des majors. Dans la mesure où on prend comme distributeur une société qui reste dans le milieu indépendant, il n'y a pas de problèmes.

Vous avez une certaine conception du rock et du public ?

C: Le rock pour moi est lié à l'idée de subversion. C'est l'idée d'explorer X directions et non le fait de vouloir rentrer dans une espèce de moule soit disant rock. Qui a le droit de dire que c'est rock ou pas rock? Il y a tout un académisme autour du rock. Quant au public, on a celui qu'on mérite. Je n'hésite pas à qualifier l'expérience avec la Mano Negra à Montpellier de "rock Bourgeois" pour la bonne raison que les gens viennent consommer à la fois de la bière et de la sueur. Ils ne font pas attention au travail des musiciens.

En clair, le rock pour toi est devenu un produit commercial ?

C: Oui, justement. Dans nos spectacles et sur nos disques on a toujours utilisé des mots qui sont à prendre pour le contraire de ce qu'ils disent. Par exemple, le maxi 45t "Dansez" n'a aucun morceau sur lequel on pourrait danser. Idem pour "The Pilgrim's progress" qui est un livre du XVIIe siècle de Bunyan qu'on a complètement détourné. Là, appeler le disque "ROCK", c'est une provocation. C'est même prétentieux parce que c'est ambigu et ça peut être pris dans un sens différent de celui qu'on veut lui donner. En fait, on s'interroge sur ce que veut dire rock aujourd'hui, aussi bien pour nous que pour les autres.

Ceci nous renvoie à l'idée que vous avez un message dans les chansons : pas de messages. Pourtant dans le Monde Libertaire, vous dites "La musique n'est pas un divertissement. Nous voulons replonger nos spectateurs dans leur vie quotidienne". C'est un problème de société qui implique donc l'idée d'un message ?

C.: Le message comme je l'entends est un mot d'ordre et ça ne m'intéresse absolument pas. On peut le prendre dans le sens d'un propos, d'un point de vue que nous avons : on le propose et c'est tout. Je pense qu'il y a toujours un problème de société, à moins de faire de l'Art pour l'Art. Quand Andy Warhol montre des bouteilles de Coca Cola, c'est suffisamment provocateur pour être accepté ou rejeté. Au départ c'était complètement compris pour le contraire de ce que voulait dire Warhol. S'il avait ajouté "Je rejette la société américaine, la société de consommation,...", ç'aurait été un message mais sans intérêt. Le fait de tendre un miroir à la société américaine en lui montrant ses produits de consommation est une démarche plus intéressante. Voilà qui me paraît plus important que de donner des messages-mots d'ordre.