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PARANEUJA (1994)

interview : Djenea Gida / traduction de l'allemand : François

 

Musique expérimentale, industrielle, cold wave, ambiante, néo-classique, rock mélancolique cynique, avant-garde ? Ni l'un ni l'autre. Peut-être tout à la fios et d'une certaine façon ça a toujours été comme ça. Clair Obscur a toujours su mêler toutes les "tendances" et être unique depuis 13 ans sur l'ensemble de la scène underground. Alors que Clair Obscur a travaillé avec Death In June au début des années 80 et que tous les autres "pièces rapportées" à DIJ ont connu un degré de notoriété qu'ils ne peuvent dépasser, il est seulement étonnant qu'ici en Allemagne, presque personne n'avait remarqué ce groupe culte jusqu'à ce qu'il y a un an, le disque In Out soit réédité en CD par le label Apocalyptic Vision. Le vent semble tourner et Paraneuja a saisi l'opportunité d'avoir une interview poussée avec le chanteur Christophe Demarthe

Peux-tu présenter toi-même Clair Obscur ? Pourquoi et comment Clair Obscur a-t-il été fondé ? Qui ont été les membres fondateurs ? La composition du groupe a-t-elle changé au cours des années ? Que signifie Clair Obscur en fait ?

Clair Obscur a été fondé en 1981. La raison pour laquelle nous nous sommes décidés à faire notre propre musique était notre insatisfaction avec ce que l'on pouvait chaque jour écouter à la radio. D'après notre conception de la musique, elle est plus une question d'atmosphère que la simple mélodie que tu peux fredonner. Nos voyons la musique comme une sorte de refuge.
Le groupe a été fondé par Thierry Damerval (basse), Christophe (chant) et Nicolas (guitare) Demarthe. En 1989, Thierry a quitté Clair Obscur pour se consacrer à la science. Après, nous avons fait plusieurs tentatives pour intégrer ans le groupe des musiciens venant du rock, de la musique classique et du jazz. La composition actuelle ne s'est pas modifiée depuis 3 ans et ainsi nous sommes très satisfaits. Come nous travaillons avec la guitare, la basse, les claviers, les percussions, le violoncelle, la flûte, la clarinette et le chant, cela nous permet de créer un grand nombre d'atmosphères.
Le "clair obscur" est une technique de peinture qui a été employée la première fois par Rembrandt. clair obscur "ciaros curo", une technique qui se fonde sur le contraste clarté/sombre. Le nom avait d'abord été choisi pour la beauté sonore. Puis il s'est avéré que le nom s'accordait très bien avec notre travail musical, quelque chose d'indéfinissable.

Est-ce que tu peux brièvement décrire l'évolutino musicale de groupe ? Vous avez commecné avec l'industriel et vous avez abouti à votre propre univers que l'on peut décrire comme du rock artisitique.

Dès le début nous avons dit de façon claire et nette que nous chercherions dans diverses directions, au lieu de suivre une évolution linéaire. De là par exemple La Cassette Noire (plus industriel) et la même année (1982) le 45t Santa Maria/Tounda (plus cold wave). De même en 1988, In Out (un disque très personnel quoique très expressionniste) et la version disco de Blume qui devait jeter un regard de l'extérieur sur notre propre travail. Le titre même de l'album In Out tire vers la question de savoir comment on voit l'art de l'extérieur. C'est pour ça que nous avons essayé pas à pas de nous comporter comme artistes en même temps dans notre travail et hors de notre travail. Ca signifie que nous l'avons fait comme une personne de la rue voit notre travail alors qu'il lui est complètement indifférent. Et le résultat a été les prises de Sans Titre et Rock. Nous savons que le CD Sans Titre a en particulier divisé notre public. Peut-être comprend-il mieux maintenant ce que nous cherchions, c'est-à-dire d'explorer la partie "out" de In Out. C'est un travail ingrat mais quelqu'un doit le faire. Ce serait plus facile et plus supportable si nous jouions toujours seulement ce que le public veut entendre. S'il veut toujours entendre des percussions violentes, des voix pleines de reverb et des cris de cimetière, alors nos fans doivent simplement écouter les CD qui contiennent Die Kinder Sind Allein et Tzarin. Ce n'est pas de notre faute si nous sommes de dix ans en avance sur notre temps. Ou peut-être devrais-je plutôt dire, si des groupes ont dix ans de retard.

Entre In Out la production suivante, on remarque une rupture nette. Quelle a été la raison pour laquelle vous avez modifié votre musique de façon si apparente ? Le groupe Coil a lui aussi connu nue rupture aussi flagrante. Ils ont dit qu'ils étaient devenus plus âgés avec les années, que leur musique était au début très destructive et qu'ils voient maintenant que ça ne les tente plus. Est-ce pareil pour vous ?

Il n'y a pas eu de rupture dans notre musique. Ou je pourrais aussi dire qu'il y en a toujours eu quelques unes. Tu ne dois par exemple pas oublier le maxi Smurf In The Gulag qui a été enregistré en 1986. Il est sorti avant In Out. Et Antigone a été composé à la même période que Rock. Peut-être que les gens veulent simplement vior une rupture parce qu'ils ont pris un coup en pleine face par rapport à leur tradition non-conformiste. Je veux dire que les gens qui écoutent de la musique genre Clair Obscur (ou Psychic Tv, Throbbing Gristle, Coil...) le font bien pour échapper à la routine quotidienne d'un succès commercial non mérité et sans signification. Mais ils n'ont pas pris conscience qu'avec le temps ils se créaient pour eux-mêmes une routine non-conformiste. Quelle serait la nécessité de sortir d'une routine pour en créer une autre, où on est à nouveau prisonnier ? Au départ, comme je l'ai déjà expliqué dans ma première réponse, Clair Obscur a été fondé pur rompre avec le merde qui passe sans arrêt à la radio. L'essence du groupe c'est de rompre avec ce qui semble sûr. Et si le moment venait où plus personne ne pourrait suivre notre rupture, alors nous ne pourrons plus aider personne. Nous devons continuer vu que nous n'avons pas d'autre choix. Nous pouvons certes expliquer tout cela, pourquoi nous nous comportons de cette façon (par exemple dans une interview comme celle-ci) mais nous devons quand même continuer. Nous ne faisons pas de la musique funk. Nous sommes dans un travail avec sa logique et sa conséquence. Nous sommes des chercheurs. Nous devons continuer à chercher et ne pas nous arrêter, pour donner aux gens ce qu'ils veulent. Il y a des gens qui le font, des hommes d'affaire. Mais aussi tout ce que j'ai dit maintenant n'exclut pas que je puisse faire à nouveau demain de la musique destructive. J'ai plutôt dans les compositions actuelles des chansons très extrêmes, très violentes.

Est-ce que vous étiez conscients, avant de sortir Sans Titre, que votre public actuel n'aimerait pas cet album autant que les précédents ?

Si nous commencions à nous poser ce genre de questions, nous ferions plutôt de la musique pour les charts et serions tout simplement des hommes d'affaires.

La critique sur Sans Titre, pour vos fans, a principalement été qu'il leur manquait les émotions extrêmes et intenses et ton excellente et flexible voix. Je peux te dire exactement ce qu'expriment tes fans par une citation que tu as toi-même faite à propos de votre musique : "Nous pleurions, crions et hurlions hors de nous toute la tristesse de la vie, comem quelques autres groupes ; mais quelque part ces plaintes nous plaisaient, nous aboutissions à la soumission de notre propre misère et en faisions une esthétisation et nous avons déjà quitté la réalité. Nous voulons renvoyer nos spectateurs dans la vie quoitidienne. Notre musique n'est pas une échappatoire."

Il est très facile de créer des sentiments et le chant a comme base un muscle en fait. Tu te décides à employer les deux, pour exprimer quelque chose de profond en toi. C'est exactement ce que nous avons fait avec Play. et In Out. Mais on ne pense pas avec ses cordes vocales et après être parvenus avec ces deux disques à exprimer ce qui nous poussait, nous avons dû continuer. Sinon cette "voix flexible et excellente" et ces "émotions extrêmes et intenses" ne deviendraient rien d'autre qu'une technique vide. Et dans Sans Titre il y a une autre sorte d'émotion -peut-être de loin plus intense- qui est un reniement de soi-même ; quelque chose que l'on peut aussi trouver dans les images d'Andy Warhol. Mais tu as employé une citation très intéressante. Très fine. Cette citation signifie aussi que nous devons changer quelque chose et ne pas faire d'esthétisation vide.

Tu as composé la musique d'Antigone de Sophocle. Peux-tu résumer de quoi parle Antigone ? Comment t'es venue l'ide d'en composer la musique ? Qu'est-ce qui t'y a particulièrement intéressé ?

Pour résumer l'histoire : dans Antigone il s'agit d'une femme qui veut enterrer son frère, Polynice, contre l'avis du dirigeant de Thèbes, Créon. Créon l'a interdit car Polynice a combattu Thèbes.
Je n'ai pas eu moi-même l'idée ce composer la musique d'Antigone mais on m'a demandé si ça m'intéresserait d'écrire la musique d'une pièce de théâtre. Le noyau de l'histoire n'est pas seulement, ainsi qu'on l'interprète souvent, le combat pour les droits de l'homme opposé au pouvoir de l'Etat, mais aussi la naissance d'un homme "innocent" dans un monde dominé par les principes religieux. Ainsi s'impose aussi par là la question "Qui est-on ?". Et il est très intéressant de comparer la phrase "... n'être ni mort ni vivant, c'est ne pas exister" avec le monologue d'Hamlet ou la mort de Joseph K. dans Le Procès de Kafka. Mais ce qui m'a plus spécialement intéressé dans cette tâche a été d'oublier Clair Obscur et d'être seul avec le texte. J'ai pris la décision de n'utiliser que des instruments de musique classique et je les ai ainsi découverts... Tu connais le résultat.

Est-ce que tu as joué toutes les chansons en concert pour une représenattion au théâtre ? Et sinon prévois-tu quelque chose ?

Oui toutes les chansons ont été jouées au cours d'une représenation théâtrale à Paris en septembre 1989.

Tu as sorti quelques morceaux d'Antigone sur Sans Titre et Rock. Beaucoup de tes fans pensent qu'ils sont de façon absolue les morceaux les plus géniaux de Clair Obscur. Est-ce que nous pouvons, nous tous, avoir l'espoir que tout Antigone sorte un jour sur un CD ?

Ca, nous le ferions avec plaisir. Si ce n'est pas encore arrivé, c'est seulement pour raisons fincancières. Je suppose que pour notre prochain album, nous allons encore enregistrer quelques morceaux...

Une de vos productions a été sponsorisée par le ministère de la culture. Est-ce qu'un tel soutien est normal en France ? Ce serait impossible en Allemagne...

En France il y a une certaine infrastructure dont la tâche consiste à soutenir l'art. Mais ne va pas penser que ce soit facile. Nous devons toujours convaincre les gens que ça vaut le coup de promouvoir notre travail. Pour Sans Titre, les conditions étaient bonnes, à l'opposé pour notre prochain album, il n'y a rien en vue.

Votre chanson Blume semble être quelque chose de très spécial pour vous. Elle est sur vos trois premiers albums, il y en a un single et un vidéoclip. De plus c'est la seule que vous jouiez à chaque fois en concert alors que depuis des années vous ne jouez plus que des chansons de Sans Titre. Il doit bien y avoir quelque chose de plus profond que ta réponse dans l'interview pour Glasnost ("Nous aimons la chanson et voulons encore y travailler").

Je parlerai d'un désir intérieur, un besoin intérieur qu'on ne peut exprimer par des mots. Nous ne sommes qu'un média. Notre technicien son, avec lequel nous avons travaillé jusqu'en 1989, n'écoutait en temps normal que du rock. Mais il aimait vraiment bien quand nous jouions Blume en concert. Il prétendait que quand nous jouons cette chanson, il se passe quelque chose de spécial dans le public. Je ne peux rien ajouter, seulement avancer des suppositions. Peut-être que cela fait ressortir une impuissance qui est dans tous les hommes. Nous ne sommes que des serviteurs de cette chanson. Nous ne sommes pas entièrement responsables pour ce qui arrive, juste un média.

Il y a quelques années, j'ai lu sur un tract que vous vouliez donner deux concerts simultanément. Je n'arrive pas à voir comment cela peut fonctionner... Est-ce que tu peux y ajouter quelque chose ? Votre clip de Blume m'a l'air d'être lié à cette idée...

C'est toujours un de nos projets que nous n'avons pu jusqu'à maintenant réaliser pour des raisons financières.
Ca consiste en ceci qu'en premier les gens veulent voir une représentation quelconque. Mais le public a maintenant la possibilité de voir un spectacle musical dans une boite de nuit ou un théâtre. Mais maintenant, si le théâtre est un lieu de réflexion, qu'est-ce qu'une boite de nuit vient y faire ? Ce doit être une boite de nuit typique, mais par la comparaison avec le théâtre, elle devient un lieu d'expérimentation et de création. Sur la scène du théâtre, l'image du "Déjeuner sur l'herbe" de Manet est projetée sur des acteurs habillés en blanc. S'il n'y avait la projection, les acteurs se verraient retirer toute leur substance. Dans la boite de nuit et le théâtre, les mêmes chansons sont alors inteprêtées de façon parfaitement synchrones grâce à un ordinateur, ce qui veut dire qu'il n'y a que les structures fondamentales des chansons qui soient en harmonie. Au théâtre, les chansons sont interprêtées par un octuor classique (violon, violoncelle, flûte...) ainsi que le noyau habituel de Clair Obscur. Dans la boite de nuit sont joués au moyen de séquenceurs, claviers, samplers et d'un guitariste. Le public a la possibilité d'aller de l'un à l'autre. De plus il devrait y avoir dans la boite de nuit, de même que dans le théâtre, des écrans vidéos pour que le spectateur d'une des pièces puisse suivre en direct et en même temps ce qui se passe dans l'autre.