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OMEGA n°1 (1993)

interview : Hervé Rons

 

Tout d'abord, CLAIR OBSCUR doit être présenté comme un groupe à part dans la musique d'aujourd'hui. En effet, cette bande de copains, passionnée et passionnante, enchaîne les mots et crée des mélodies qui forment un ensemble original et nouveau. CLAIR OBSCUR n'est pas comme tous ces groupes actuels, avec leurs styles, propres et monotones, voir enfantins, ayant toujours pour finalité de vendre plus à un amas de chair auquel on ne permet plus de penser, de choisir et même d'éprouver un sentiment. Non, CLAIR OBSCUR se bat contre cette triste réalité avec une hargne et une volonté qui passent encore trop inaperçues. CLAIR OBSCUR, c'est bien plus qu'un groupe (de rock ou d'autres choses, il n'est pas nécessaire de leur attribuer un style, d'essayer de les cataloguer), c'est un univers particulier, un monde de sentiments extrêmes, où se mêlent le merveilleux et l'inexprimable. Tantôt bouleversant, tantôt subjuguant, toujours créatif, leur travail (qui n'en semble pas en être un, tant le résultat final apparaît simple sous la forme) est nécessairement efficace, puisque personne ne reste passif, indifférent, à l'écoute de leurs oeuvres. Il faut ajouter qu'une certaine forme de mysticisme entoure ces dernières et par conséquent nous tient au piège dès que nous osons nous aventurer au delà de la surface tranquille de leurs apparences. En fait, CLAIR OBSCUR est un état d'esprit dans lequel chacun se reconnaît et puise afin de se régénérer. CLAIR OBSCUR, c'est la beauté à l'état pur, la vérité qui nous éblouit, ma dose quotidienne de bonheur et de spiritualité dans ce monde bassement matérialiste et donc inintéressant. Voilà, c'est par ces quelques phrases que je voulais exprimer mon humble avis sur le groupe. Il est évident que mes sentiments à leurs égards ne peuvent être que limité par les mots, et j'en suis désolé. Et pour vous présenter encore plus véritablement cette petite troupe d'artistes, nous avons recueilli pour vous les propos qui suivent (Je tiens à remercier le groupe pour sa collaboration). Prenez maintenant un peu de recul face à ce que vous venez de lire et sachez vous forger une opinion personnelle de CLAIR OBSCUR, car CLAIR OBSCUR, c'est en fait... ceci :

Comment réagissez-vous si je vous dis que vous êtes l'un des groupes français au plus gros potentiel ?

Je suis à la fols flatté et désappointé. Désappointé parce que dire à un groupe qui a plus de dix ans d'existence qu'il a un fort potentiel, au delà du compliment fort réconfortant, revient à stigmatiser la situation de marasme dans laquelle il se trouve. Au pire, on peut imaginer que CLAIR OBSCUR disparaîtra un jour en ayant "l'un des plus gros potentiels" ; c'est à dire, sans que ce potentiel aboutisse. La faute à qui ? Je pense que nous y viendrons un peu plus loin dans l'interview.

Pouvez-vous présenter votre discographie à ce jour ?

Voir feuille jointe. Mon commentaire : pour illustrer la situation de marasme que je viens d'évoquer, il est intéressant de noter que 1992, dixième anniversaire du groupe, voit la réalisation du premier album enregistré dans des conditions "normales" : trois semaines de studio et non pas trois heures comme pour "In Out".

J'aimerais savoir comment est né "In Out" ?

De la rencontre avec un lieu. Invités à jouer au premier festival des Musiques Mutantes en 1986, nous avons demandé à voir la salle quelques semaines avant le concert. Ce fut un déclic. Le TLP Déjazet à Paris est un théâtre à l'italienne, utérus de velours rouge. Nous avons immédiatement laissé de côté les compositions "rock" que nous répétions pour créer une musique et un spectacle par rapport à ce lieu. Cela a donné "In Out".

Où avez-vous trouvé le texte de Petite Fable ?

(je me lève et vais voir dans ma bibliothèque). Dans la Muraille de Chine et autres récits, Folio, page 142.

Vous sentez-vous proche de la littérature ? De Kafka par exemple ?

De la littérature comme mode d'expression, non pas particulièrement, enfin oui, enfin non, je me sens plus proche de la musique si vous voulez. C'est dans la musique que je me sens le plus dans mon élément, que j'attends le mieux, que les choses s'organisent de la façon la plus évidente. Hormis la musique, je ne pense pas avoir de relation privilégiée avec une force artistique particulière mais avec des individus, ça oui. Tout récemment, j'ai lu un poème de Beckett, Comment dire. Et bien, lisez-le, vous verrez.

D'où vous est venu l'envie de créer "Sans Titre" ? Un album aux styles si différents ? Souffrez-vous de ne pas être très connus ?

Vous posez plusieurs questions. Commençons par dire que l'envie de créer, de produire est toujours là. Ce n'est pas un choix, c'est un besoin. "In out" était sorti depuis quatre ans déjà, "Rock" était (il est toujours) bloqué en studio pour raison financière. Il fallait sortir quelque chose, exister. Peut-être "Sans Titre" porte t-il les masques de ces difficultés pour exister. Les styles si différents reflètent notre volonté de considérer la musique comme un espace. "Sans Titre" invite l'auditeur à un voyage du type des aventures d'Alice au pays des merveilles, lui proposant de passer d'un monde physique à un autre. Ces ruptures peuvent déconcerter parce qu'une oeuvre est sensée faire un bloc mais nous prétendons n'avoir créé qu'un reflet du monde dans lequel nous vivons. Le dernier point de votre question nous ramène à la première question. Ce dont nous pâtissons, c'est les grands médias qui, pour l'ensemble étouffent plus de ce qu'ils diffusent. Notre problème est là : nous pouvons vérifier à l'occasion de nos concerts, notamment ceux de nos concerts avec d'autres groupes, où les gens ne viennent pas spécialement écouter CLAIR OBSCUR, que le public en général accroche bien à une musique qui ne lui était pas forcément familière. Simplement, si les médias ne prennent pas le relais sous le prétexte, j'imagine, que notre musique n'est pas calibrée, alors les gens ne peuvent nous découvrir, ils ne nous connaissent pas et personne ne nous invite à jouer et ainsi de suite, cercle vicieux. Si nous souffrons d'une chose, c'est de celle-ci : savoir que le public accroche, comme vous dites, mais que les médias en répondant absent ne permettent pas à ce potentiel d'aboutir.

De quoi parlent principalement vos chansons ? Voulez-vous toujours faire passer un message ? Que raconte la chanson "Political Song" ?

Nos chansons ne parlent de rien. Nous ne faisons pas des chansons, nous faisons de la musique. Les questions plutôt que le message apparaissent dans la musique, comme l'a fait entrevoir ma réponse à votre question précédente. "Political song" (1983), chanson sans texte, stigmatise les chansons à texte qui ne disent rien sur la société. Ce que nous avons à dire, nous l'exprimons clairement dans des interviews comme celle-ci. Nous laissons le soin le soins aux politiciens, aux publicitaires et aux chanteurs à message de dire aux gens ce qu'ils doivent penser. Ce qui nous intéresse, c'est plutôt l'impensable. Le texte à message, c'est le pensable. Il est inclus dans la pensée sociale. La société lui a aménagée une petite niche pour qu'il la mordille gentiment et qu'il fasse où elle lui dit de faire.

Qu'est devenu votre album non encore commercialisé ? Verra t-il le jour dans les bacs de nos disquaires ?

Vous pouvez écrire, si vous le voulez, au Ministère de la Culture, au conseil général de l'Oise, à l'ADAMI, à la SACEM, à MFA, à la FCM, à la SCPP, à la SPPF... pour qu'ils reviennent sur leur refus à notre demande de subventions.

Quelle est votre opinion sur les groupes français actuels ?

Quels groupes français actuels ? D'un côté le rap qui singe le modèle américain, de l'autre le rock franchouiilard qui singe la chanson réaliste de l'entre deux guerres. Nous sommes dans la décennie des singes.

A votre avis que manque-t-il pour que les indépendants touchent un plus grand monde ? Pensez-vous que le public ne s'investit pas assez dans le rock français préférant ce qui vient d'Angleterre, par exemple ?

Premièrement, les indépendants ont été incapables, dans les années 80, de constituer un réseau, chacun préférant "faire son truc dans son coin". Deuxièmement, qui sont les indépendants aujourd'hui ? Nous connaissons VISA. Mais écoutez le responsable de BONDAGE : un parfait petit chef d'entreprise. Entre BONDAGE qui décide de faire de la dance parce que le marché, et une major qui produit TOM WAITS, hein, franchement... Troisièmement, les aides de structures d'aides vont à ceux qui ont un potentiel. Mais n'en doutez-pas, ils ne se font pas la même idée du mot "potentiel" que vous, Hervé. L'idée qu'ils s'en font est la même que celle qu'ils se font de la musique française, c'est à dire pour eux, chantée en français. Autrement dit, prenez n'importe quel plagiat de tube US, plaquez dessus des mots chantés en français, et ces crétins, n'est-ce pas Yves Bigot, sont persuadés d'être en présence d'un produit (comme ils disent) spécifiquement français. Quant au public, il paie les pots cassés, autrement dit ne découvre que ce que les décideurs, qui sont en fait des suiveurs, veulent bien diffuser.

Quelle est votre opinion des fanzlnes ?

Les fanzines, et votre connaissance de notre parcours est là pour le confirmer, sont les médias les plus pointus, parce que spécialisés évidemment, parce que dénués d'intérêts commerciaux, parce que passionnés tout simplement. Ce sont eux qui cherchent le plus, creusent le plus, et sont pour le lecteur la source d'information la plus fiable.

Votre maison de disque vous laisse-t-elle faire ce que vous voulez ?

Nous n'avons pas d'exclusivité avec une maison de disque. Sinon lorsque que nous enregistrons une série de morceaux et que nous la proposons à une maison de disques, elle est évidemment à prendre comme un tout. Il n'est pas question d'amputer ou de modifier

Lorsque vous réécoutez votre première production, quels sont vos sentiments ?

Vous parlez de la cassette noire plutôt industrielle. Je suis content. C'est plutôt primitif, peu ou pas mélodique mais tellement spontané. Cela m'aide à me situer aujourd'hui où tout ce que nous faisons est tellement plus réfléchi. Cela peut m'aider à commencer un travail, être un garde fou également grâce à cet aspect brut. Dire avec peu de choses. Ne pas se laisser embarquer dans une pâtisserie lourde. Aujourd'hui, notre meilleure connaissance des timbres, de la mélodie et de l'harmonie nous permet plus de finesse dans le discours. Mais le discours lui-même, on ne l'a pas dès le départ, on ne l'acquiert pas. Les auditeurs peuvent donc juger à l'écoute de cette première production si CLAIR OBSCUR avait ou non quelque chose à dire.

Pourquoi vous voit-on si peu en concert ? Est-ce parce que vos contacts sont limités ou est-ce un choix délibéré ?

Pour la première raison et aussi parce que nous n'avons jamais été très actifs au niveau des démarches. Si ce n'est qu'une fois où un dossier et une cassette sont partis dans soixante-dix centres culturels en France avec zéro réponse. Aujourd'hui pourtant, nous sommes à la recherche d'un agent artistique pour justement faire changer les choses.

Lors de vos concerts, on vous sent très proche du public. On a l'Impression que le groupe et le public forment une grande famille, un tout ? Pourquoi ce sentiment si particulier, intense ?

Ce n'est pas toujours le cas. Au cours d'un récent concert à la Courneuve, les gens nous ont trouvé lointains. Mais ça été le cas au TLP en juin 92 et tout récemment à Creil. Pourquoi ? Je ne sais pas. Un journaliste écrivait à propos de "Sans Titre" : "Voilà des individus qui ont la délicatesse de nous considérer comme des êtres sensibles, non comme des consommateurs." Pendant nos spectacles, nous essayons d'élaborer une sorte de jeu qui ne fonctionne que si le public accepte de jouer. Le public doit bien le sentir. Dès lors, il a l'impression d'être comme un invité, un élément du spectacle. Il sent qu'il ne doit pas simplement prendre mais aussi apporter un sens. Le spectacle, au contraire de certains tout ficelés, ne peut pas se passer de lui. J'imagine que ceci doit être stimulant pour le spectateur.

Est-ce que le public réagit toujours positivement à vos prestations scéniques ? Avez-vous une anecdote à nous raconter ?

Les réactions sont nettement positives ou négatives, rarement mitigées. Et elles sont, tant mieux pour nous, plutôt positives. Je peux raconter notre dernier concert devant un public mélangé de fidèles mais aussi de rockers. Début du concert : "Eh, le hautbois, fais nous entendre ta voix !". Milieu du concert : "du rock !". Fin du concert : "Putain, votre musique, ça tue sa mère !"

Que feriez- vous actuellement si vous disposiez d'argent à volonté ?

Pourquoi une question qui fait aussi mal ? Nous ferions des disques, des spectacles et nous créerions un organe de presse national !

A quoi ressembleront vos prochaines chansons ?

Permettez-nous de garder le secret.

De quel style de musique vous sentez-vous le plus proche aujourd'hui ?

La musique baroque, la musique espagnole des 15-16 siècle, la musique tzigane du sud de la Yougoslavie, Arvo Pärt, The Velvet Underground, Psychic TV.

Avez-vous un scoop pour les lecteurs d 'OMEGA ?

Peut-être dans quelques jours.