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OBSKURE (FEVRIER 2005)
Trois groupes de prestige pour seize euros et début des concerts à 21h00. Voilà qui fait plaisir ! Et pourtant la renommée des deux groupes français et des protégés japonais de Prikosnovénie ne déplace quun peu plus de 300 personnes. La Loco nest pas remplie et lambiance sonne le rappel des troupes âgées.
Pas mal de gens vus à Strasbourg (où Clair Obs et Collection jouaient en novembre dernier) sont présents, beaucoup danciens aussi. Le dance-floor reste vide, à lexception de trois jeunettes qui agressent leur propre timidité à coups de hanche chaloupés. Nous autres, nous sommes assis sur les rebords et nous attendons. Pas de cris, quelques sourires à lécoute de la playlist concoctée pour nous replonger dans nos jeunes années : Dead Can Dance, Kas Product, Sisters Of Mercy (rien de bien cadencé, cest le titre « Colours », coldwave à mort qui a été sélectionné), Cocteau Twins, Joy Division (avec « Atmosphere » : quelquun a une corde dans la salle ?), The Cure (« A night like this ») et les Cranes pour finir.
Changement de registre après la voix de notre Vanessa Paradis du rock sombre, puisque des bruits de canalisations percées nous envahissent. Plongée aux toilettes de rigueur avant le show.
Sur scène, pour Jack Or Jive, des sculptures de papier évoquent très mal des pieuvres échouées ou des méduses : les escabeaux qui soutiennent les structures sont trop visibles et enlèvent un peu de la magie. La déception ne sera que fugace, heureusement car, pour ce qui est de la convocation des esprits, la chanteuse Chako a ce quil faut. Kimono de toute beauté chargé de prolonger les gestes des bras, mouvements entre arts martiaux, théâtre et danse, expressivité presque exagérée, multiplication des ambiances
Chaque morceau sétire longuement, la bande-son se base régulièrement sur des boucles : piano, indus douceâtre, voix doublées et superposées, nappes synthétiques, musique de messe à la Nico, bruit de tôle, nappes de cordes, sur-saturations Toutes ces sonorités élaborées par Makoto Hattori forment un écrin duquel la voix prend son élan pour briser tout carcan. Des problèmes de jack du micro gâchent le premier titre et claquent encore irrévérencieusement sur dautres performances vocales, Chako surprenant encore par des incartades à la Diamanda Galas ! Depuis 1990, on sest très éloigné de la première impression de Cocteau Twins froid que mavait laissé abusivement le groupe. Le format des chansons est dépassé. On se retrouve maintenant face à de la poésie chantée (quel regret de ne comprendre les paroles !), où douceur et tragique sembrassent, on pense avec humilité quil vaudrait mieux ne pas écrire. Alors, on lâche le stylo et on écoute.
Retour de la play-list engoncé dans les années 80 avec les Virgin Prunes (« Baby turns blue »), Cure (« Lovecats ») ou encore Lisa Gerrard (le très orientaliste «The Human Game »). A peine le temps de bavarder un peu, dessayer de retrouver les membres des forums sur lesquels nous sommes de plus en plus nombreux à communiquer, de jouer au match de celui qui en sait le plus sur les groupes qui vont jouer ce soir et le clin dil des frères Demarthe retentit.
Rideaux levés, cest Gérard Lenorman qui nous met en jambes avec sa « Ballade des gens heureux » (deux ailes à ballade, merci). Les aficionados se régalent, ce morceau fait partie de la soirée du Grand Jeu à Creil, en 1986, au cours de laquelle un membre du public, plutôt barré, était monté sur scène pour pousser la chansonnette. Dix-huit ans plus tard, on sen souvient encore ou on feint de sen souvenir... La Grange ne pouvant que contenir une centaine de personnes En dehors du clin dil, prêter attention à ces paroles* permet également de se plonger dans les motivations du retour du groupe. Que de belles choses nous nous souhaitons ! Combattre encore la naïveté, le sourire facile, les faux réconforts de circonstances. Dire quand ça va mal.
Cest « Blumen » et sa froideur qui viennent remettre les pendules à lheure. Vive le rock qui pense, qui se gausse, qui joue de lironie. Ce morceau existait sur lalbum Play dans une version hantée (voix triste et grave), sur In Out dans une deuxième version symphonique et belle, en version disco sur le 45 Tours du même nom, cette ultime version choisit lère glaciaire et le synthétique de linformatique, ordinateur bien visible sur la table. Les frères sont seuls, Nicolas est bien éclairé alors quà Strasbourg, il restait dans lombre. Le son de la guitare est dailleurs plus fort et les notes ressortent et habillent avec plus de pertinence les morceaux. Retour de laccordéon pour un titre « Petite Fable » dont jai déjà bien parlé lors du report de Strasbourg, les images projetés montrent le rat coincé vers sa nasse et sur cette séquence se superpose limage dun bel intérieur, en plongée façon caméra de surveillance. Nous sommes des rats, coincés dans notre confort, les fenêtres ouvrent sur du blanc cassé « Tzarin » revient, là aussi, dans une quatrième version (lalbum Play, le live The Pilgrims Progress, lalbum In Out) de plus en plus engluée, aquatique et glauque ; le ballet filmé sous leau répand sa lumière verte, seule respire encore la guitare pour quelques accents toniques, des passages en français insistent sur le froid. On rejoint lhistoire avec « Die Kinder Sind Allein » : vieille histoire de Clair Obscur, histoire du monde avec les images du mur de Berlin détruit, images (remontées depuis Strasbourg et complétées) du mur construit en Palestine / Israël. Les enfants sont seuls, abandonnés à leur sort, dun mur à lautre. Pas besoin de discours, Christophe ne regarde pas lécran, ne nous le montre pas, ni ne le commente. Là où les Skinny Puppy (puisquon ma reproché ma critique de ce concert) sefforçaient de mettre en scène leur antiaméricanisme classique et apostrophaient lécran où des images classiques défilaient, Clair Obscur choisit la retenue, la connivence et un sujet moins étalé dans le monde musical.
La suite du concert ne diffère que très peu du show de Strasbourg, le public suit mollement (lâge, la date retenue) mais sûrement. Pour « Toundra », Christophe reste seul en scène et livre une version plus années 2000, technoïde et drôle, irrévérencieuse. Il sexplique une nouvelle fois sur sa volonté de ne plus jouer « Santa Maria », morceau quils naiment plus. On sourit alors en pensant aux jeunes lecteurs de D-Side peut-être déstabilisés sils sattendaient à voir sur scène le groupe gothico-cold-batcave-indus que suggérait le titre « Fröh ». Clair Obscur na été réduit à ça que par une frange de son public. La véritable essence du groupe aura lieu plus tard, loin des étiquettes musicales. La réédition de « In Out », chef-duvre de musique classique appréhendée avec lénergie du rock, répond ainsi à une nécessité évidente. Les mélodies reviennent avec « Black » pendant que des filles attendent à un arrêt de bus polonais, filmées en plan pied. Connivence, déclare Christophe, avec le récent concert au point éphémère de Mimetic et Servovalve, une séquence du film « Vivement dimanche » de François Truffaut est projetée. Un cours de manipulation dimages ou comment un film peut être relu différemment selon sa bande-son, ici une version extrêmement silencieuse de « The Pilgrims Progress ». Un petit peu de « Barake », le sublime « Mercredi » en guitare accoustique et voix, puis « Zeda » pour les vieux que nous sommes devenus.
Le concert était plus fort que celui de Strasbourg, les deux acolytes, plus ensemble. Aucun besoin dune vraie batterie, loption groupe véritable dont certains se sont fait lécho ici et là ne me semble pas la plus pertinente au regard de ce que fut Clair Obscur. Tourner autour du duo et des invités, de la froideur synthétique me semblerait davantage porteur car, justement plus risqué, plus difficile à appréhender. Et, après cette série de concerts réussis, je me demande vers quoi va tendre le groupe désormais. Le désarroi social, la critique des politiques urbaines, la présentation dune oeuvre riche et très, (trop ?) diversifiée : il faudrait peut-être une structure plus compacte, un objectif plus frontal aux futurs concerts. Le Clair Obscur qui interpellait la musique, le déroulement des concerts, le confort du spectateur me manque aussi. Il ne faudrait pas que le projet Cocoon garde pour lui seul les riches interrogations dont est porteur Christophe Demarthe. Leffet patchwork de cette re-formation est certes excellent pour se replonger dans une histoire bien riche, mais on souhaiterait désormais voir un Clair Obscur ancré dans le présent. A limage du film pour « Die Kinder », à limage de cette « Ballade » provocante. Il reste à inventer le nouveau Clair Obscur, à la hauteur de lancien : nulle doute que cette tâche soit un défi à la portée des deux frères !
Nous choisissons ensuite, comme bon nombre de couche-tôt de regagner notre métropolitain. Nous avons déjà vu deux fois le très bon set de Collection dArnell-Andréa sur la tournée de Bower Of Despair, nous vous renvoyons donc aux reports passés !
* Notre vieille Terre est une étoile Où toi aussi tu brilles un peu Je viens te chanter la ballade La ballade des gens heureux / Tu n'as pas de titre ni de grade Mais tu dis "tu" quand tu parles à dieu Je viens te chanter la ballade La ballade des gens heureux / Journaliste pour ta première page Tu peux écrire tout ce que tu veux Je t'offre un titre formidable La ballade des gens heureux / Toi qui as planté un arbre Dans ton petit jardin de banlieue Je viens te chanter la ballade La ballade des gens heureux / Il s'endort et tu le regardes C'est ton enfant il te ressemble un peu On vient lui chanter la ballade La ballade des gens heureux / Toi la star du haut de ta vague Descends vers nous, tu verras mieux On vient te chanter la ballade La ballade des gens heureux / Roi de la drague et de la rigolade Rouleur flambeur ou gentil petit vieux On vient te chanter la ballade La ballade des gens heureux / Comme un chur dans une cathédrale Comme un oiseau qui fait ce qu'il peut Tu viens de chanter la ballade La ballade des gens heureux (paroles de Pierre Delanoë)Sylvaïn