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OBSKURE (MARS 2004)

 

Un mail de Christophe Demarthe tombe dans ma boîte. « Cela faisait des mois que l’idée me travaillait : replonger dans la musique de Clair Obscur première époque » et la suite du mail annonce un concert aux Studios Campus pour l’émission Traffic sur Radio Libertaire. Une question en suspens, celle d’une possible reformation en devenir. Perplexité et joie mêlées.

Clair Obscur, c’est un groupe originaire de Creil, dans l’Oise. Au début des années 80, la région est en zone (aujourd’hui encore, mais bon), les hangars rouillés s’additionnent, les voix ferrées transportent leur lot de citadins endormis. Le punk est arrivé et a fauché une partie de la souriante jeunesse de la Picardie, happée par la capitale toute proche et l’héroïne.

Parmi les projets qui naissent, peu dépassent le cadre des répétitions, beaucoup moins sortent un album. Quelques uns seulement grandiront. Clair Obscur est de ceux-là. 1982, l’indus débarque en France par le biais d’une K7 chez V.I.S.A. « Play » comme un jeu de bandes inversées, de synthés cold, de cris militaires. On récite son bréviaire Throbbing Gristle. Petit succès. 1983, en plein déferlement gothique outre manche, c’est un 45T « Santa Maria / Toundra » qui fait parler de sa pochette Munch à la chaux vive. L’objet, au format peu banal, devient culte : Clair Obscur joue la carte des morceaux et soigne les mélodies. Le maxi « Dansez », contenant le célèbre « Die Kinder sind allein », popularise la basse galopante et la voix hurlante. Les concerts révèlent une présence scénique hors du commun, des shows fascinants. Le forum des halles ouvre ses portes après le Palace (première partie de Killing Joke)… Clair Obscur est en route dans un créneau bien précis et un public de fans naît.

 

1986, lassé d’un carcan qui les entrave, Clair Obscur se produit au Théâtre Libertaire Parisien Dejazet accompagné d’une formation classique. Christophe chante à la Klaus Nomi, le groupe est habillé de blanc. Le public punk siffle, s’agite, puis se calme, et écoute, applaudit enfin. Le virage est pris, le goût du risque revient. Les albums suivants « Rock », « Sans Titre », les problèmes de maison de disque auront raison de la carrière du groupe. Succès d’estime, succès journalistiques se poursuivent, certes, mais le public déserte le groupe et ses velléités de se défaire de la scène batcave. On les retrouvera cependant en première partie de Goethes Erben en 1997 à la Loco, oeuvrant dans les sons technoïdes, trop tôt encore…

Fin de l’expérience sous ce nom. Apocalyptic Vision édite un CD commémorant l’évolution, CD que Prikosnovénie distribue. Christophe, de son côté, se lance dans de nombreux autres projets artistiques (CO2, La Lune, 501 Blues, musiques de spectacle…).

 

Retour en 2004. J’ai vu le groupe une dizaine de fois en concert. Certains furent fabuleux, d’autres complètement à côté. Un reformation est quelque chose qui m’inquiète. Je pense à la nostalgie, aux fausses illusions, au passé saccagé… Mais j’y vais, davantage pour voir un ami.

La soirée est un hommage à Jacques Perdereau, mort en novembre. Des vieilles formations sont là : le sax de Kni Krik, on se retrouve replongé en plein « Festival des musiques mutantes » (1986). Prises de parole minimaliste, sons divers. Trois titres. Seulement. Le magnifique Tzarin, poème d’amour et de séparation, Blume, et The last Encounter dans sa version bruitiste, agaçante, stressante, proche de Suicide. La musique reste toujours intrigante, questionneuse. Je pense aux sonorités d’Aphex Twin, à cette volonté de ne pas faire. Christophe cherche le souffle, le trouve, se porte, se balance, réclame un son plus fort, s’enthousiasme, grimace, rentre dans la musique. Un poste de télé balance les textes, des images, lumière bleutée, agressive, de l’écran. Nicolas pose ses notes, le sampler ajoute une touche nouvelle. Joie de retrouver le rythme, les pulsations, l’énergie qui demande à sortir, à être portée. Nous sommes une quarantaine dans la salle, pas plus. Personne n’est debout. Et pourtant. Ça passe. Quelque chose est possible. Il y a du plaisir.

Suite à ce concert, la décision tombe une semaine plus tard, chamboulant les emplois du temps des deux frères. Clair Obscur repart pour un tour. Besoin de réagir à la musique confortable, de réagir à la violence gouvernementale (grande implication de Christophe dans le conflit des intermittents avant l’été dernier), besoin de gueuler, de montrer.

Je veux y croire, moi aussi. Alors, belle génération qui, de Minimal Compact à Trisomie 21, refuse le moule social, la vie bien faite. Beaux groupes dont l’évolution est source de remises en cause, de discussions. Nous n’aurons pas nos Pink Floyd et autres Yes, souhaitons-le.

Sylvaïn