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K. (1989)

 

Festival "des musiques nouvelles", 24 Septembre 1989, banlieue de Lille.

Quelques 250 personnes seulement présentes à ce festival organisé par le fanzine ESPOIRS EPHEMERES, l'affiche valait pourtant le détour. BUNKERSTRASSE tout d'abord, une formation aux yeux de qui la "cold" existe encore, des morceaux froids et rythmés, une musique nettement plus puissante que celle que l'on peut entendre sur leur K7 (disponible sur HAYOON LIMIT).

Dans un style différent, les suivants (LITTLE NEMO) n'étaient ma fois pas désagréable à écouter ni à voir. Un concert qui fut, il est vrai, sans surprises ; parole de normand qui apprécie L.N. sur vinyl, les aime aussi sur scène et inversement.

Venaient ensuite et tout naturellement les têtes d'affiche, à commencer par DIE BUNKER, ou comment allier musique, théâtre et performance. La recette de D.B. était ce soir consistante: haricots verts écossés, masque de clown triste ; un spectacle qui évoquait quelque peu le mythe d'Icare sur patins à roulettes et qui ne décevait pas pour tout dire.

Seule une petite cinquantaine de personnes se tenait encore à proximité de la scène quelques minutes avant le moment très attendu : la prestation de CLAIR OBSCUR. Lever de rideaux, estrade peu encombrée, presque dénudée, amplis, micros ordinateurs ; entrée des deux musiciens, chanteur et guitariste, pas de costume, aspect sérieux ; déjà la sobriété du concert et de la mise en scène est à présager. CLAIR OBSCUR ne jouera que deux-trois titres de leur dernier LP en date ("Blume", "Valse"), tous les autres morceaux seront inédits. Le style musical apparaitra dans l'ensemble très différent de celui de "IN OUT" sans toutefois ressembler à celui d'albums plus anciens. Plutôt rythmé, le concert ne sera interrompu que par quelques problèmes techniques dus à la sonorisation de la salle. Un concert sans fioritures, dont le fil conducteur adopté ce soir là fut la musique et elle seule.

Jeanne.

(L'entretien qui suit fut recueilli par Jeanne, Alex et JM le 24.9.89)

 

Quels sont les critères d'un bon concert chez CLAIR OBSCUR ?

A nos veux, un bon concert signifie imposer une situation dans laquelle les gens choisissent d'entrer ou de ne pas entrer. C'est une ligne de conduite que l'on a essayé de suivre depuis quelques années maintenant. Nous ne concevons pas que le public reste simplement passif.

Le concept scènique chez CLAIR OBSCUR ? Vous arrive t-il encore de faire des performances théâtrales ?

Cela fait longtemps que l'on ne fait plus de théâtre. Nous avons cessé d'en faire en 84 suite à un concert au Théâtre du Forum des Halles à Paris où nous avions essayé de mettre en place tout un spectacle avec un thème qui était l'opposition sociale viscérale chez les gens. Le public avait bien suivi globalement mais quelques spectateurs avaient demandé des morceaux comme lors d'un concert rock, c'est à dire "Jouez ceci, jouez cela...". Ces quelques réactions nous ont ennuyé ; nous nous sonmmes dit à partir de là que l'on imposerait une situation. Les gens devront se déterminer et donc l'approche est plus plastique et musicale que théâtrale. En ce qui concerne ce soir, cela faisait longtemps que l'on voulait faire un spectacle uniquement musical pour voir si la musique seule pouvait suffire à créer quelque chose. D'autre part, nous avons travaillé pendant toutes les vacances avec une troupe de théâtre qui a monté ANTIGONE. Nous avons crée une musique originale, donc il y a eu aussi un problème de temps et le moment était donc venu de voir si la musique seule pouvait apporter quelque chose. De plus, nous étions deux simplement, avec des machines, c'était le première fois, c'était donc un pari.

Pourquoi n'étiez vous que deux ce soir ?

Il n'y a plus de bassiste. Celui ci est parti, il y a plusieurs mois, pour un problème personnel uniquement. Il avait une activité en dehors de CLAIR OBSCUR pour laquelle il a opté. Nous nous sommes donc retrouvé à deux. Si nous avions décidé de jouer avec d'autres personnes, nous aurions pu le faire. Nous avons déjà souvent fait appel à des batteurs par exemple pour des concerts ; de même pour la musique que j'ai composé pour ANTIGONE, j'ai appelé des musiciens classiques. Les musiciens se trouvent donc assez facilement. Pour ce soir, nous n'avons pas cherché à trouver quelqu'un d'autre.

Vous vous sentez en décalage par rapport aux groupes rock, vous référez vous uniquement à la musique classique ?

Déjà le mot "rock" nous ennuie parce que cela ne signifie plus grand chose, le rock, c'est Jerry LEE LEWIS.

C'est quand même une mentalité, une culture, différente de celle du classique.

Une telle affirmation implique que l'on soit aujourd'hui en mesure de dire ce qui est rock et nous serions bien en peine de trouver un point commun entre certains groupes si ce n'est les instruments utilisés... Ou alors il nous faut en donner une définition réductrice, ce qui veut bien dire qu'en ce cas la culture rock est un ghetto ; et elle le demeurera tant qu'elle définira un nombre de préoccupations et non la possibilité toujours renouvelée de se situer ailleurs. "Ailleurs" et non pas "plus loin" car plus loin signifie que l'on accepte de rester sur l'axe d'une culture dominante, ce que l'on appelle la mode. "Ailleurs" renvoie plutôt à une phrase fétiche des surréalistes. Il est tout à fait parlant de constater que la musique n'a pas connu sa brisure dadaïste. Le mouvement punk n'en est qu'une pâle copie car il continue d'intégrer la mélodie et la structure couplet-refrain. La musique industrielle, en ce sens, marque plus une rupture. Il faut donc accepter toutes les expériences nouvelles, tous les points de vue nouveaux et les appeler "rock", ou alors accepter de vivre emprisonné ce qui, soit dit en passant, n'est pas très compatible avec la notion première de rock . Nous refusons donc toute allusion au rock. L'expression même "culture rock" emprisonne, le fait d' imposer un deuxième mot à "culture" est automatiquement réducteur . On songe à "rock et bd", comme si on réussissait là à cerner une fois pour toutes le cercle des préoccupations de l'auditeur rock. Quelles sont les préoccupations du rock ?

La musique de CLAIR OBSCUR ne devient-elle pas de plus en plus intimiste ?

Je crois qu'il est assez difficile pour celui qui crée de juger de l'intimité de son travail. Il faudrait pouvoir sortir de soi, c'est à dire devenir critique. Nous essayons systématiquement de faire une critique a posteriori de notre travail devant conditionner le travail suivant, mais il est évident que cette auto-critique a ses limites et que là intervient le rôle du critique. Si notre musique apparaît à l'oreille du critique de plus en plus intimiste, il nous faut, à nous compositeurs, tenter d'en donner une explication. Et je vois un lien avec l'idée de texte. Le texte que nous haïssons est le texte à messages, il ne dit rien sur la société parce qu'il est la société. Il communique au sens publicitaire du terme (songez à cette floraison d'écoles de communication) c'est à dire qu'il branche les gens sur la longueur d'onde décidée par la société productiviste. Il nous faut dépasser le stade du texte comme message en créant effectivement un spectacle intimiste qui ne se fonde pas sur la communication au sens publicitaire mais sur ce qu'il faut (par dépit ?) appeler communion. On peut donc dire de certains morceaux qu'ils sont intimistes, non pas au sens nombriliste mais que, devant se situer au delà ou en deçà du ressac, ils revêtent effectivement ce caractère intimiste.

Vous semblez loin, de la période où vous écriviez des morceaux comme "Froh", "Die Kinder sind allein"... Est ce vraiment révolu ?

On ne peut être et avoir été. A quoi rime le fait ce vouloir refaire, retrouver, se retrouver, cela signifie que l'on s'est donc égaré quelque part dans le bras mort d'une rivière. En un mot à quoi rime le disque "Combat Rock" des CLASH ? Ce que nous, nous faiscns c'est de garder à notre répertoire certains anciens morceaux parce que nous jugeons qu'ils ont un sens à notre musique actuelle, et donc nous les jouons comme au premier jour ("The last encounter"dans IN OUT) ou nous les reprenons à la manière d'un peintre reprenant sa toile ("Blume" dans IN OUT également). Nous faisons également des autoréférences (le piano de "Die kinder sind allein" dans "Downtown", inédit). En résumé il nous importe de toujours pouvoir avoir une vision globale de notre travail passé et présent pour pouvoir avancer dans le futur mais certainement pas au prix d'un artificiel (puisque dévirginisé) "retour aux sources".

Vous arrive t-il au cours d'un concert de passer de morceaux classiques à des morceaux bruyants ?

Nous pouvons tout à fait envisager ce passage si la musique n'est pas considérée par l'auditeur (et là ce travail nous revient) comme une ambiance ou encore comme une atmosphère (pour employer un jargon New Wave) mais comme un espace dans lequel l'auditeur décide de pénétrer, tout comme Alice décide de pénétrer dans le terrier du lapin, puis de boire la potion pour pouvoir passer par la petite porte. Dès lors Alice va de l'avant et passe sans problème d'un espace physique à un autre. A nous donc de faire que l'auditeur devienne Alice.

Pour revenir à des questions plus concrètes, êtes vous, comme le bruit court, établi en Angleterre ?

Non, nous avons un agent à Londres, mais nous n'avons jamais été en Angleterre. C'est par lui que nous avons pu sortir des disques en Angleterre.

Certaines de vos productions sont sorties sur le label écossais CATHEXIS, êtes vous toujours en contact avec ce label ?

Damien, notre agent à Londres, a effectivement collaboré à ce label, mais il l'a quitté et nous aussi lorsqu'il s'est rendu compte de la malhonnêteté de son responsable. Je crois d'ailleurs que ce dernier ne fait plus rien.

Avez vous connu un certain succès à l'étranger ?

Il serait faux de dire "à l'étranger". Nous avons effectivement été reconnus en certains points de certains pays étrangers comme en certains points de France. Il y a des régions en France où nous avons l'impression d'être bien reçus d'après les échos que nous pouvons avoir. Je pense par exemple à la Bretagne d'où nous recevons beaucoup de lettres. C'est la même chose à l'étranger où nous nous sentons reconnus dans certaines régions.

Ce n'est pas la première fois que vous faites un concert avec DIE BUNKER, est ce simplement dû au hasard ?

Déjà nous avons un lien de parenté puisque nous sommes cousins, et sans vivre dans la même ville, nous avons quand même eu une évolution musicale qui présentait certains points communs tout en étant différente. En fait nous habitons assez près l'un de l'autre.

Votre approche de l'utilisation de diapositives lors de vos spectacles ?

Nous n'utilisons pas de diapos pour illustrer notre musique, pour créer une atmosphère ou une ambiance. Non, la musique, les diapos, le décor, la salle, les intervenants participent, faute de mieux, de ce que nous appelons une installation musicale en empruntant le terme aux arts plastiques. Deux exemples, le TLP Dejazet en octobre 86 où nous avons projeté sur des musiciens classiques et sur nous mêmes des diapos de tableaux impressionnistes pour enfoncer le clou par rapport à un espace douillet coupé de la rue (le théâtre à l'italienne). En remplaçant ces projections par des néons blancs s'allumant de façon brutale au beau milieu d'un morceau, le sens était assez clair pour le spectateur. Deuxième exemple, Creil en juin 85, une tente de camping occupe presque toute la scène, de l'intérieur des dispositives de lieux idylliques de villégiature, tout comme ceux vus dans les brochures publicitaires ; devant la tente une belle jeune fille dans un transat : devant l'ensemble présenté sous un parallélipipède de plastiques transparents, une grande pancarte Kodak. Ne voyons nous qu'aux travers d'images préétablies ? Un plasticien comme BOLTANSKI a déjà travaillé sur cette question.

Qu'écoutez vous actuellement ?

Pas grand chose. Depuis un certain nombre d'années dejà. Nous ne suivons plus ce qui se fait. Nous réécoutons donc de vieilles choses comme Brian ENO, quelques vieux PSYCHIC TV, sinon, de la musique classique et puis PRINCE aussi...

Et France Culture, êtes vous encore en lien avec eux ?

Oui, disons qu'il y a des gens qui s'occupent d'une émission, "Clair de Nuit", qui a lieu le samedi et le dimanche de minuit à 1 heure. Nous connaissons ces personnes depuis quelques années maintenant. Au tout début nous leur avions simplement envoyé une cassette, ils ont aimé notre musique, depuis lors nous sommes restés en contact.

Pensez-vous connaitre votre public ?

Sur Paris oui, en province pas du tout. Ceci parce que nous avons fait bon nombre de concerts sur Paris et les gens sont un peu fidélisés. Le public parisien est très respectueux et c'est une chose qui est vraiment importante à nos yeux. A chaque fois nous avons fait ces spectacles différents. Les gens étaient conscients qu'ils ne savaient pas à quoi s'attendre. Ils avaient une attitude active dès le départ.

Si sur scène vous jouez certains morceaux qui bougent et si le public se met à bouger aussi, cela prend un aspect très rock..... Cela vous gène-t-il ?                               

Absolument pas. Si nous faisions des morceaux comme ça, il n'y a aucune raison.

Vivez vous de CLAIR OBSCUR ?

Non. c'est parce que nous travaillons à côté que nous pouvons faire vivre CLAIR OBSCUR.

Votre prochain album sera-t-il sur VISA, comme "IN OUT" ?

Nous ne savons pas encore. Nous avons plusieurs pistes pour le moment.

Que pensez vous des gens de VISA ?

Cela fait longtemps que nous les connaissons. Nous avons connu Thierry avec l'année de notre formation, en 81-82. Il travaillait sur Radio Libertaire, il y faisait une émission qui s'appelait "Trisomie 21". Il a très vite aimé ce que nous faisions. Nous sommes devenus amis, puis nous avons rencontré Yves et l'autre Thierry. Cela a mis quelques années, mais un jour nous avons décidé de faire ce disque (IN OUT) ensemble. Les gens de VISA sont des gens rigoureux sans aucune flatterie et je pense qu'ils sont reconnus comme tels dans le milieu indépendant.

Quelles ont été vos motivations premières pour faire de la musique ? Avez vous une formation classique ?

Non aucune. En ce qui concerne "mes motivations premières',. je dirais plutôt "Quelles ont été tes motivations premières pour écouter ce genre de musique ?". Au départ, il y a simplement le fait de ne pas se satisfaire de ce que tu entends communément, puis après de savoir pourquoi toi tu as envie de faire quelque chose.