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FANZINE ? (1989 ?)

 

CLAIR OBSCUR est incontestablement un groupe à part dans le paysage de la new-wave française. Né à l'aube des années 80, ce trio venu de Creil s'est rapidement imposé comme un groupe novateur et totalement hors normes. Malheureusement, aucun label suffisamment riche ne leur a accordé la chance d'exprimer facilement leurs idées talentueuses. Peu de disques ont donc couronné la désormais longue carrière de ce groupe qui est probablement la plus connue à l'étranger de toutes les formations underground new-wave françaises (et ce grâce à ses nombreuses participations a diverses compilations étrangères ou internationales). Définir la musique de CLAIR OBSCUR est difficile, voire impossible. L'émotion y est toujours intense, mise en évidence par des vocaux à la fois pilotes et omniprésents. L'orchestration du groupe est variable (de la guitare électrique au violoncelle en passant par le synthé). Les compositions sont toujours simples mais très inspirées. Le meilleur moyen de connaître un peu mieux la musique de CLAIR OBSCUR est en fait tout simplement d'entendre (ou de lire) les membres du groupe s'exprimer sur leurs compositions et leurs visions de la musique. Une interview pas toujours très facile à comprendre mais indispensable pour comprendre le concept CLAIR OBSCUR.

 

CLAIR OBSCUR ET LA NOTION D'ART ET ESSAI

Ne pensez-vous pas qu'on puisse qualifier votre musique d'Art et Essai?

Ce terme nous dérange parce qu'il fait penser à "avant-garde", et le problème de 1'avant-garde, c'est que c'est une notion assez élitiste, l'Art et Essai ne pouvant par définition intéresser qu'une minorité de gens capables de le comprendre.
De plus, c'est un concept qui vient de la peinture ; le terme a été créé au XIXème siècle par une certaine partie de la bourgeoisie pour classer la peinture non reconnue. Je ne pense pas que notre musique puisse être qualifiée de musique d'Art et Essai. A mon avis, il faut plutôt parler de musique "parallèle", ce qui implique un concept politique puisque nous rejetons toutes les musiques institutionnelles. En fait, je pense qu'il ne faut pas particulièrement être initié pour écouter notre musique; parler de musique d'Art et Essai aboutirait à mettre nos productions dans un carcan et à favoriser donc la musique "institutionnelle" qui regroupe toutes les musiques commerciales. Il ne faut surtout pas commencer à donner trop de tiroirs, trop d'étiquettes un peu ésotériques qui vont peut-être faire peur aux gens puis finalement donner du poids et de la force à la musique commerciale tout simplement. Pour en revenir à cette notion d'Art et Essai et aux pièges qu'elle entraîne, l'exemple du cinéma est intéressant :un film d'Art et Essai peut être vu par tout le monde à partir du moment où il est bon, même s'il est un peu difficile. C'est le cas des films de Godard.

 

LE PARADIGMATISME

Alors comment qualifiez-vous votre musique?

Nous lui avons donné un nom dès 1982, à l'époque de la K7 noire, nous la qualifions de musique paradigmatique. La paradigmatisme est une notion qui appartient à la grammaire et qui nous permet dans une phrase de choisir un terme plutôt qu'un autre. Cette notion nous intéresse par rapport à la musique parce que nous pensons que notre musique permet "d'aller ailleurs" ce qui n'est pas le cas de la variété que tu peux écouter en faisant autre chose. Ce qui nous intéresse, c'est de créer une musique qui permet de se détacher du monde pour entrer dans une temporalité qui est propre à cette musique. C'est ce qu'on a essayé de faire en 1982 avec la cassette noire :c'est à dire des morceaux qui supposaient une sorte de départ du monde pour entrer dans un espace autre. Je crois que ça a toujours été la base de notre travail, cette volonté de demander aux gens : "Est-ce que vous voulez rester dans le monde ou est-ce que vous voulez passer dans un univers autre ?". Cela suppose un choix au départ.

 

INFLUENCES

"Froh" le fait penser à du CURE, un autre morceau me fait penser à du VIRGIN PRUNES. Niez-vous ces influences?

1983 et 1984 furent pour nous des années très Cure mais surtout Virgin Prunes. On avait en fait chacun notre tendance. C'était aussi une époque où on écoutait autrement. Le décalage entre l'écoute et la création était beaucoup plus petite que maintenant. Aujourd'hui, nous avons plus de recul et sommes moins influencés. Sinon, nous sommes attirés par la musique africaine, on écoute aussi JACQUES BREL, GAINSBOURG... la liste est longue. C'est extrêmement divers.

 

TEXTES

"Petite Fable" est un texte de Kafka. Etes-vous plus intéressés par la mise en musique de textes que par des reprises musicales elles-mêmes?

"Petite Fable", c'est d'abord de la musique, puis ensuite seulement le texte. Et ce pour une raison très simple: nous ne sommes pas des poètes. Je suis d'ailleurs incapable d'écrire un texte poétique, je n'ai même pas envie de le faire car je sais pertinemment que ce serait bon à mettre à la poubelle. Par contre, si je lis quelque chose qui me fait entrer dans un espace autre, je cherche à l'adapter. Et il se trouvait que "Petite Fable" exprimait en d'autres termes ce que le texte "Défini" disait aussi, surtout le dernier vers "La sécurité vient de la certitude de toucher le fond". Dans "Petite Fable", il y a une souris qui aspire à voir des murs et qui se fait finalement coincer par ces mêmes murs. C'est une coïncidence, les deux textes se renvoient la balle.

 

RELIGION ET SACRE

Dans "Défini" justement, un passage du morceau a une connotation fortement religieuse. Écoutez-vous souvent de la musique religieuse?

Bien sûr. Tout à l'heure j'avais d'ailleurs envie de le dire mais je ne l'ai pas fait.

Tu te serais senti bête?

Non, mais c'est toujours pénible pour un groupe de rock de dire qu'on écoute de la musique classique. Je trouve risible ces groupes qui sont, soi-disant, spécialistes d'une certaine forme de musique classique. Personnellement, j'adore le requiem de Fauré. En fait, la quasi totalité des oeuvres sacrées le touche beaucoup; elles sont toujours intéressantes, ce qui n'est malheureusement pas le cas des oeuvres profanes.

 

LA VOIX

J'aimerais savoir comment vous considérez la voix, si c'est avant tout pour vous un instrument de musique (d'où la volonté d'utiliser les sonorités) ou si vous pensez que c'est un moyen d'expression?

Pour nous, la voix est à la fois un moyen d'expression et un instrument. Les deux attributs ne sont d'ailleurs à notre avis pas dissociables. L'idée ne passe pas forcément par un texte; pour un texte poétique par exemple, la voix devient alors plus un instrument. Mais en fait, je pense savoir où tu veux en venir avec cette question ; au sujet des "textes engagés", on a un certain nombre de choses à dire que nous n'avons jamais cachées par ailleurs. Ainsi nous sommes absolument opposés à cette idée de dire aux gens comment ils doivent penser à propos de sujets qu'ils connaissent déjà. On ne leur apprend donc rien. Pire, on leur prend du temps. Par exemple, lors de certains concerts, il y a des mots d'ordre autour du racisme mais cela ne sert pas à grand chose car les gens qui assistent à ces concerts sont déjà convaincus...

Entretien réalisé par Olivier Paccaud (ALEA JACTA EST) au domicile des Frères Demarthe (chanteur et guitariste du groupe).