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ELEGY n°34 (février 2005)

 

Formé en 1981 à Creil dans l'Oise, Clair Obscur se compose à l'origine de Thierry Damerval (basse et claviers), Christophe Demarthe (voix), Nicolas Demarthe (guitare et claviers) et Jean-Yves Liot (batterie). Leur musique, un rock mélancolique et hybride, multimédia et avide d'expérimentations tous azimuts, attirait un public toujours grandissant, notamment en Allemagne, au début des années 90. Après un silence radio de plus de cinq ans, les Français refont aujourd'hui parler d'eux, avec la réédition de deux de leurs meilleurs albums (via le label Infrastition), Play. et In Out, qui s'accompagne d'une reformation pour quelques concerts. Christophe Demarthe revient, pour nous, sur cette brillante carrière...

Le fait d'être deux frères dans un même groupe est-ce un avantage ? Qui est plutôt "clair" ? Qui est plutôt "obscur" ?

C'est un avantage qui vient du fait que nous nous sommes contruits, nourris mutuellement pendant l'enfance. Mais il y avait symbiose entre les quatre membres du groupe : généralement, lorsque l'un d'entre nous lançait une idée, celle-ci était reprise par les autres qui la développaient. Il y avait quelque chose d'évident entre nous. Nous n'avions pas besoin de beaucoup parler ; nous sentions les mêmes choses.

Avec Die Form, il me semble que vous étiez les premiers en France à vous réclamer du Théâtre de la cruauté d'Artaud et à faire le rapprochement entre la musique, les arts plastiques, la danse et le théâtre...

Oui, bien sûr. Aujourd'hui, cela semble évident de faire des concerts multimédias avec de la vidéo et tout ça, mais il faut vous dire que dans les années 80, c'était une hérésie : un groupe de "rock" devait faire de la musique et rien d'autre. Combien de fois avons-nous été mis à l'index parce que nous avions des performers sur scène, des images, des décors... Apparemment l'histoire nous a donné raison.

Parlez-nous de votre premier concert...

Oh la ! Dans un magasin de musique à Creil, en 1981, séparés du public par un grillage de chantier, vêtus de noir, nos visages maculés de boue... et le public qui visiblement ne comprenait pas trop qui étaient ces gugusses et ce qu'ils faisaient ! Et, pourtant, il a plutôt bien réagi. La musique a donc dû convaincre notre auditoire.

Et votre première partie de Killing Joke ?

Nous avons été appelés à la rescousse par l'organisateur après la défection du groupe qui devait faire la première partie et qui était mort de trouille. Nous, on n'en avait rien à foutre, on faisait notre musique, et "fuck" si ça ne plaisait pas. L'Olympia était rempli de keupons et de skinheads. On devait jouer vingt minutes, montre en main. On a attaqué direct bourrin de chez bourrin. Le son était assuré par Bernard Deffon, qui à l'époque faisait le son de Marquis de Sade et d'Orchestre Rouge. On a joué fort. Des clameurs se sont élevées dans le public : on a attaqué tellement violent que ces connards de skins ont cru que c'étai Killing Joke qui jouait. C'est ce qu'on s'est dit après, parce qu'au bout d'un moment, on a entendu quelques "fuck off" dans le public, et on a vu quelques doigts se lever. Les mecs ont dû être verts de rage contre eux-mêmes de s'être fait baiser par un jeune groupe français. Mais bref, on a terminé le set super applaudis.

Et aujourd'hui, quels morceaux jouez-vous ? En avez-vous de nouveaux ?

Aujourd'hui, nous réinterprétons les morceaux de la toute première période du groupe, la plus rugueuse. Nous ne composons pas de nouveaux titres. Personnellement, je n'éprouve pas, en tout cas pour l'instant, le besoin de composer pour Clair Obscur, parce que les morceaux que je compose en ce moment pour mon nouveau projet solo Cocoon [sorti il y a peu chez Optical Sound, ndlr], me permettent d'explorer à fond une écriture radicale, expérimentale, qui me plait beaucoup. Par contre, l'énergie, la violence de la scène, je ne la trouve qu'avec Clair Obscur. D'où cette envie de retrouver la période la plus fiévreuse du groupe, en réinterprétrant sur scène les titres de nos débuts.

Pourquoi Clair Obscur est-il devenu CO2 en 1999 ?

CO2, c'est Clair Obscur, c'est tout. L'idée de changer de nom était une idiotie de notre part, l'illusion de se créer une nouvelle virginité par rapport au milieu de la musique en France, qui décide qu'un groupe de plus de dix ans est forcément ringard. En fait, si nous avions dû changer de nom, nous aurions plutôt dû le faire après le départ, en 1989, de Thierry Damerval, qui était l'un des piliers du groupe. A part ça, Nulle Aide (1999), le disque de CO2, autrement dit le dernier disque de Clair Obscur avant sa dissolution, recèle, je crois, quelques morceaux denses, mais aussi quelques-uns ratés.

Et Cocoon ? Quel est le concept de ce projet ? Peux-tu nous dire quelques mots sur les concerts de Cocoon et sur votre travail avec Servovalve ?

Cocoon, c'est explorer à fond les possibles, ne plus avoir présent à l'esprit le monde extérieur, c'est un peu de la recherche fondamentale, mais avec comme vue le frisson que peut créer une ambiance sonore. Le concert aux Voûtes l'an dernier, c'était un certain nombre de prises de risques par rapport au public de la scène électronique expérimentale. Mais, ce n'est pas nouveau, n'est-ce pas ? La prise de risques existait déjà dans les propositions de Clair Obscur. Cocoon, c'est aussi un important travail sur l'image, sur la représentation. Le travail avec Servovalve, c'est littéralement une carte blanche à un artiste dont j'apprécie le travail. C'est-à-dire qu'il a emmené l'univers de Cocoon ailleurs, dans son monde à lui. Le travail qu'il a fourni est titanesque. Celui qui va regarder le CD-Rom va vraiment voyager avec cette création visuelle et sonore. On peut tout à fait dire qu'on se trouve en présence de deux travaux à l'intérieur d'un même CD [Christophe a déjà de la matière pour un nouveau Cocoon, ndlr].

Comment s'est passé le récent concert de Clair Obscur à Strasbourg ? Quel a été l'accueil du public ?

Nous avons eu d'excellentes réactions, confirmées lors de nos deux concerts suivants, à Genève puis à Bourges. Les spectateurs sont venus nous voir après notre set pour nous faire part de leur enthousiasme. Cela nous a beaucoup touchés : en effet, Strasbourg était un peu un baptême du 'feu après sept ans d'absence. Ce qui nous a aussi beaucoup touchés, c'est la fidélité d'une partie du public présent : des gens qui connaissaient notre travail, malgré cette longue absence et après toutes ces années, y compris des personnes extrêmement jeunes qui avaient l'âge de certaines de nos chansons !

Qui joue sur scène pour Clair Obscur ?

Clair Obscur dans sa version actuelle, c'est Nicolas Demarthe à la guitare et moi-même au chant, plus de l'électronique et de la vidéo, et un ou une invitée au gré des rencontres, comme par exemple Mimetic, qui nous a fait le plaisir de nous accompagner aux percussions lors de notre concert au Kab de l'Usine, à Genève, fin novembre.

Jouez-vous des morceaux de chaque album ?

Nous jouons plus particulièrement des titres de la première période du groupe (1981-1988), celle qui me tient le plus à cœur aujourd'hui. Mais nous avons également joué trois titres de CO2 lors de nos récents concerts.

Y a-t-il des morceaux que vous ne pouvez plus jouer pour une raison ou pour une autre?

Oui, nous avons essayé de jouer "Froh", mais ça ne marche pas. On dit de la musique de Lou Reed que c'est du rock adulte. Je pense que nous pouvons jouer l'ensemble de notre musique aujourd'hui comme nous la jouions il y a vingt ans. Mais ce n'est pas vrai pour "Froh" : ça sonne ado. J'ai essayé de reprogrammer la trame du morceau : ça donne quelque chose de très pêchu, un peu à la Béru, mais, dès que je plaque la voix sur cette trame, c'est ridicule. C'est ainsi : il y a certaines œuvres qu'on crée à 20 ans et qui doivent être interprétées par des personnes de 20 ans. Alors, avis aux amateurs...

Les deux albums réédités sont vos deux préférés, je crois...

En effet, la cassette noire rééditée sous le titre de Play. est mon album préféré. C'est le plus radical, le plus expérimental. C'est à partir de ces titres que m'est venue, ces derniers mois, l'envie de reformer Clair Obscur en duo avec Nicolas, pour réentendre, réinterpréter ces morceaux rugueux.

Quelques mots sur In Out ?

C'est peut-être mon second album préféré, même s'il comporte de multiples défauts : il a été enregistré en prise directe et directement mixé en stéréo en quelques heures. C'est aussi l'idée, l'envie qui a préludé à ce disque. Nous avons été invités à jouer au premier et dernier Festival des musiques mutantes en 1986, à Paris au TLP Déjazet. Cet endroit nous a immédiatement donné l'envie d'improviser un concert avec des musiciens classiques. Thierry Damerval a fait pour cet album un énorme travail de réorchestration de nos morceaux. On a enregistré avec des musiciens classiques en quinze jours. Puis on a fait ce concert entre deux groupes punks avec nos musiciens classiques... On a eu, au final, une standing ovation du public pendant plusieurs longues minutes.

Quels sont les titres de ces deux albums que vous rejouez avec le plus de plaisir ? Quels changements notables avez-vous apportés à ces morceaux ?

"Blume", qui a déjà subi plusieurs orchestrations différentes depuis sa création en 1982 ; "The Last Encounter", où nous revenons à quelque chose de plus proche de la version originale [présente sur La cassette Noire, ndlr] que de la version figurant sur In Out ; "Toundra", qui provoque une bonne agitation dans le public... Nous avons du plaisir à jouer tous ces titres, sinon nous ne les aurions pas choisis : nous avons quand même le choix entre plus d'une centaine de morceaux... "Smurf in the Gulag" nous a donné de la difficulté, parce que c'est un morceau que nous avions composé en studio, et ça s'est terriblement senti lors de nos répétitions. Mais, à présent, nous l'avons apprivoisé... et le public semble l'adorer. En ce qui concerne les changements apportés, je laisse au public le soin d'apprécier. Une chose qui m'était très présente à l'esprit, lors de ce travail de réinterprétation de notre répertoire, était l'écueil de cet exercice. Beaucoup de groupes se sont plantés. Mais dans mon rapport à la musique, je ne me force jamais, les choses doivent venir facilement. S'il y a eu reformation de Clair Obscur, c'est parce qu'il y a eu véritablement envie, et lorsque l'envie est réelle, les choses se font avec une facilité déconcertante. J'en veux pour preuve notre toute première répétition en janvier 2004, où des titres que nous n'avions pas joués depuis quinze ans nous sont revenus immédiatement dans les doigts et dans la voix. Nous n'en revenions pas. C'était très étrange.

Yannick Blay